L’histoire commence en 2012, par un champ en friche au milieu d’une cité-jardin bruxelloise, un propriétaire en demande d’idées pour recréer du lien social dans le quartier et un projet citoyen qui explore de nouvelles habitudes de consommation alimentaire…
La Ferme du Chant des Cailles est née, elle est située à Boitsfort dans la cité jardin Le Logis, c’est une des premières installations d’une telle importance en Région bruxelloise, l’asbl va transformer le champ en un projet agricole collectif, un véritable « commun », un lieu de rencontre et d’échanges, un laboratoire qui ne cesse de développer de nouvelles expérimentations.

Le succès inédit de cette exploitation en maraîchage et en pâturage d’un terrain de la cité-jardin Le Logis-Floréal, concédé à titre temporaire sur un terrain destiné à la construction de logements, questionne l’équilibre des fonctions dans le quartier et en particulier le programme prévu dans le nouveau Plan Logement communal. Ce Plan Logement, validé en 2014, vise la construction dans le quartier Archiducs de quelques 200 logements dont 70 prendraient place sur le champ. Fin 2014, la Région bruxelloise ouvre des budgets Innoviris pour des recherches en cocréation sur le thème de l’alimentation. Le collectif de la Ferme du Chant des Cailles (FCC), s’adjoint une équipe expérimentée (un bureau d’urbanisme, ERU, des chercheurs universitaires, UCL-LOCI, une agence de communication à vocation sociale, l’Agence Alter) et initie alors le projet SAULE « symbiose agriculture urbaine, logement, environnement » qui démarre en 2017 pour 3 ans.
L’enjeu est d’étudier, à partir de l’expérience locale du collectif, l’inscription en ville de l’agriculture urbaine, cette nouvelle fonction qui s’est développée avec une forte motivation citoyenne et qui prend ici une ampleur considérable, se diversifie et se professionnalise. De très nombreuses questions se sont ouvertes aux chercheurs qui ont interrogé tant les dimensions territoriales du projet agricole et du Plan Logement que l’histoire du quartier et surtout les implications et motivations des différents acteurs – ceux du projet agricole, les autres groupes d’habitants et d’acteurs locaux, les décideurs régionaux et communaux. Ils ont aussi étudié l’incidence et l’interaction des projets et leur potentiel de développement. Enfin, les chercheurs ont élaboré sur base de 3 hypothèses de travail et de 3 scenarii, une piste de programmation réaliste conciliant les attentes de chacun. Ce qu’il en est ressorti ?
Le carnet de recherche produit par l’équipe au terme des 3 années pose le cadre : le champ avenue des Cailles, un terrain de 3 ha, solde de l’ancien paysage rural, n‘a jamais été bâti. Cultivé par un fermier jusqu’en 2010, il offre une terre limono-argileuse riche et très fertile, propice à la culture maraîchère. Le collectif citoyen s’y est installé sur base d’une convention d’occupation précaire en 2012 grâce à l’appui de la SISP Le Logis, propriétaire. Il a rapidement consolidé et développé ses activités au point d’avoir pu créer en 2016 une coopérative de production et engager 3 professionnels (ils seront 10 en 2020). L’originalité du projet nourricier de la Ferme du Chant des Cailles repose sur la structuration en différents pôles de production : le pôle citoyen développe un Jardin collectif et un « Quartier durable » tandis que le pôle professionnel se décline en 3 entités, le Maraîchage, le Bercail et les Aromatiques. Rapidement le collectif s’implique dans le quartier par les pôles Quartier durable et Jardin collectif mais aussi le relais d’institutrices des écoles voisines et organise des animations et des activités citoyennes et pédagogiques. La fonction agricole percole dans la cité-jardin (ruchers, poulailler, etc.) tandis que le cheptel de brebis s’accroit et s’installe dans plusieurs sites du quartier (couvent avenue Wiener, villa Miraval, etc.). Quant au maraîchage professionnel, il est conçu sur le modèle pratiqué en Flandre des CSA (community supported agriculture) en auto-cueillette.*
Dès 2016, alors que le projet SAULE était en cours de montage, les acteurs locaux, Le Logis et Floréal, appuyés par la Commune, encouragent la dynamique de développement de l’agriculture urbaine et s’accordent pour aider à pérenniser l’installation de la Ferme du Chant des Cailles.
La recherche-action a mis en avant la manière dont la Ferme du Chant des Cailles est devenue en quelques années un collectif citoyen très actif, une force de projet impliquant de plus en plus d’habitants du quartier et bien au-delà. Pour eux l’activité d’agriculture urbaine dépasse très largement la fonction nourricière, ou plutôt avec eux, cette activité devient un moteur pédagogique, éducatif, d’inclusion sociale et un projet de société qui fait sens et apporte des solutions aux maux et dysfonctionnements environnementaux et sociaux. Un tableau des bienfaits de l’agriculture urbaine réalisé lors de la recherche est révélateur de la diversité et de la richesse apportées par le projet et a été l’occasion pour les fermiers de dresser un bilan chiffré. Une enquête alimentaire auprès des habitants de la cité-jardin et surtout du public le moins aisé du quartier a montré un potentiel d’adaptation du système nourricier de la Ferme pour impliquer une plus grande part de la population précaire du quartier. Par la suite, la Ferme adaptera de nouveaux tarifs et modes d’accès en auto-cueillette à ce public du quartier qu’elle souhaite intégrer.
L’étude explore également les spécificités du quartier : couvert par les cités-jardins Le Logis et Floréal, il inspire par l’idéal porté par ses concepteurs au début du XXe siècle. Ce nouveau modèle urbain se présente comme un morceau de ville équipé et fondé sur les principes coopératifs et égalitaires, où le logement était accessible à des travailleurs aux revenus modestes et où le caractère nourricier faisait partie intégrante d’un paysage bucolique très étudié, ponctué de potagers, vergers, pépinières et champs. Le Logis et Floréal forment un ensemble exceptionnellement cohérent et bien préservé de ce modèle, cependant au fil du temps la fonction nourricière de la cité-jardin tend à disparaître, peu d’habitants y cultivent encore leurs légumes et les arbres fruitiers qui portent des fruits comestibles ne sont plus si nombreux.
Avec le développement du projet sur le champ des Cailles et ses répercussions dans le quartier, Le Logis a pris conscience de l’intérêt de son patrimoine d’arbres fruitiers et les récoltes collectives de pommes qui avaient été régulières au siècle passé reprennent, constituant des moments forts de cohésion sociale pour les riverains.
L’enquête se poursuit auprès des gestionnaires de la cité-jardin. Les 2 sociétés coopératives Le Logis et Floréal fusionnent en 2018 cependant que de nouvelles impositions et règles régionales bruxelloises commencent aussi à marquer l’occupation et la gestion des immeubles (liste unique régionale pour l’accès au logement social, plan de mutation, etc.). La population du logement social de la cité (1.765 logements) d’une part vieillit et d’autre part se précarise et les nouveaux occupants sont, pour beaucoup, des mères seules avec enfants. Mais surtout de très nombreux logements attendent une rénovation, plus de 200 logements de Floréal sont inoccupés. Ce sont surtout de grands logements et il est fort difficile de réaliser le « plan de mutation » qui est exigé par la Région des sociétés de logement public, pour faire concorder la taille des logements et des ménages lorsque les enfants ont quitté le foyer, et reloger les personnes seules qui le souhaitent dans un espace adapté.
Tous ces constats sont des clés pour mener des échanges entre acteurs et aménageurs.
De débats publics à investigations, visites de quartier et ateliers de recherche, ces pistes ont été ouvertes avec les habitants, les acteurs publics et les expertises externes. L’économiste Philippe Defeyt nous inspire en indiquant qu’il est nécessaire en matière de logement comme en toute chose, d’éviter la facilité de consommer du neuf plutôt que d’optimiser les ressources et d’apprendre à gérer celles-ci. Et de nous ouvrir les yeux sur le potentiel du quartier, quelques 12 blocs d’habitation de la cité-jardin offrent un potentiel de surélévation pour environ 36 logements. Les architectes de l’UCL-LOCI ont alors planché sur des solutions techniques, comme la construction légère en ossature bois pour surélever les immeubles, ou comment construire en limitant les nuisances de chantier. Apparait aussi l’intérêt de développer un programme mixte pour accroître les fonctionnalités du quartier. Conserver un maximum de terrain cultivable et nourricier mais réaliser un équipement de quartier collectif, qui puisse aussi apporter des locaux agricoles à l’avantage de tous.
SAULE a dessiné les prémices d’un programme d’avenir : le bord du champ pourrait accueillir une construction compacte, comportant des locaux de quartier et d’équipements agricoles avec une douzaine de logements collectifs « innovants » aux étages répondant aux besoins identifiés, le Plan logement serait mieux réparti dans le quartier sans pression sur le foncier, les équipements de quartier seraient renforcés… La ferme pourrait bénéficier ainsi d’un local technique et d’un lieu couvert pour développer ses activités, le maillage nourricier continuerait à se développer à l’échelle du quartier avec l’appui des jardiniers du Logis-Floréal, les habitants de la cité-jardin bénéficieraient plus amplement des bienfaits de l’agriculture urbaine.
Marie Demanet, ERUasbl
Pour en savoir plus : http://saule-webdoc.be/
* Les mangeurs s’engagent sur l’année et viennent cueillir sur le champ. L’abonnement annuel revient environ à 1 euro /jour / adulte. Ce système en auto-cueillette a beaucoup d’avantages, il crée un lien entre maraîchers et mangeurs, réduit le travail des maraîchers, réduit les pertes et établit une relation de confiance. Mais ce système a ses contraintes et ne s’adapte pas à tous les publics.